
Corinne Masiero joue dans trois films présentés lors du festival CINEMANIA, Louise Wimmer, Ombline et De rouille et d’os.
Habituée aux seconds rôles de femmes de caractère, jusqu’ici inconnue du grand public, Corinne Masiero crève l’écran dans Louise Wimmer, de Cyril Mennegun. Sorti en France en janvier 2012, ce long-métrage était en compétition lors du festival CINEMANIA. Tout comme Ombline de Stéphane Cazes – qui a raflé tous les trophées – et le film d’ouverture signé Jacques Audiard, De rouille et d’os, dans lesquels on retrouve la comédienne.
Sans fard. Corinne Masiero, grande rousse aux cheveux ondulés, est ainsi. La comédienne de 48 ans ne se maquille pas « comme une star de ciné ». Ses ongles ne sont pas rouge sang, ses lèvres non plus. Son sourire est naturel, son élégance décontractée. Son discours est libre, sa gouaille insolente.
Les paillettes du show-biz ne l’ont jamais beaucoup attirée, même quand elle était petite fille d’ouvriers, à Douai, dans le Nord de la France. « A l’époque, je voyais les actrices comme des greluches, des poupées qui font « oui, oui, oui », sourit-elle. Ce n’était pas du tout mon truc. »
Sauf que le hasard la rattrape, à 28 ans. Ses copains préparent une pièce à l’hippodrome de Douai. Elle leur donne un coup de main, assiste aux répétitions, puis monte sur scène, pour aider. « Je ne voulais plus redescendre. Cela a été une révélation. Tout s’est passé en une seconde. »
Le théâtre de rue, sa passion
La jeune femme n’y connaît pas grand chose à la comédie. Alors elle arpente les salles de spectacle, picore des pièces de théâtre et des représentations de danse. Mais ne suit pas de formation. Mieux, l’apprentie comédienne découvre le théâtre de rue, sa passion, et part en tournée dans toute l’Europe, avec le collectif Organum.
« Une grosse leçon d’humilité », selon l’actrice. Sur le macadam, il faut jouer sans filet, ne pas se défiler. Si le spectacle n’est pas terrible, le public passe son chemin. « Tu dois toujours être à l’affût. Après un spectacle d’une heure, tu as l’impression d’avoir couru un marathon ! »
Alors cet « enfant de prolo », comme elle se définit, ne lâche pas ce moyen d’expression qui « s’installe souvent dans les quartiers les moins aisés, là où la culture ne va pas forcément ». Après Louise Wimmer, elle retrouve le bitume avec Détournoyment, la troupe de son compagnon, à Roubaix, là où elle vit. « Sans le théâtre de rue, j’aurai tout arrêter, confie-t-elle. Je me suis dit que je n’aurai plus jamais un rôle comme celui que m’a offert Cyril Mennegun. »
Madame Louise Wimmer
Un rôle qui a changé sa vie. Même si Corinne Masiero préfère la dérision : « L’avantage, c’est que maintenant je ne passe plus forcément de casting, dit-elle, d’une voix faussement pédante. On m’appelle pour discuter dans un bon resto. » En janvier dernier, lorsque Louise Wimmer est sorti en France, la comédienne dégingandée « habituée aux seconds rôles de putes ou de toxico » est soudain sortie de l’ombre.
Elle-même n’y a pas cru lorsque Cyril Mennegun l’a contactée pour lui offrir le rôle principal dans son premier film de fiction. Le réalisateur avait besoin d’écrire pour une comédienne. Mais il a mis du temps à la trouver : « Je ne voulais pas d’une actrice connue, raconte-t-il dans L’Express.fr, le 3 janvier 2012. (…) J’ai donc commencé à chercher ma perle rare (…). Dans mon esprit, Louise Wimmer devait être une grande rousse, quelqu’un d’assez costaud donc pas féminin au sens cinématographique du terme. (…) Un soir de ras le bol, je mets la télé et je regarde distraitement un téléfilm de Josée Dayan. Je commence un peu à m’assoupir quand je vois dans un plan de 5 secondes « ma » Louise : une évidence. »
Mais le réalisateur ne sait pas qui est Corinne Masiero. Il attend le générique de fin, cherche son nom sur Google et trouve enfin le numéro de son agent. Puis il la rencontre à Lille, discute avec elle pendant des heures. Et l’histoire débute. Le réalisateur veut parler d’une femme qui, même dans la misère, reste digne. Il a trouvé sa Louise Wimmer.
Pour la jouer, l’actrice compte uniquement sur son feeling. Pas question de « faire un stage chez les pauvres, lance-t-elle, abrupte. Pour moi, c’est presque un manque de respect. » Corinne Masiero poursuit, véhémente : « Cela me fait rire ce concept d’entrer dans la peau d’un personnage ! Mon œil oui ! La fille que je joue vit dans sa voiture, se lave dans les chiottes d’un restaurant. Moi, après le tournage, je rentrais dans mon hôtel ! »
« Je ne veux pas que tu fasses ta Masiero »
Mais cette comédienne engagée – elle a créé une association de soutien aux comédiens du Nord, Les Acteurs en Nord, milite pour la cause des intermittents du spectacle – a aussi connu des galères d’argent, plus jeune et s’en sert pour donner de l’épaisseur à son personnage. Cyril Mennegun, le réalisateur, a aussi grandi dans un milieu populaire. « C’est important de ne pas oublier d’où l’on vient et que des cinéastes en parlent dans leurs films. D’autant que le cinéma a longtemps été une vitrine de la bourgeoisie. Quand tu étais fils d’ouvrier à Roubaix, tu savais à peine ce que c’était. »
La comédienne sourit : « J’en joue de mon côté prolo. Souvent, lors des castings, je prends l’accent chti, j’en fais des tonnes. » Elle n’hésite pas non plus à être ridicule. « C’est mon cheval de Troie, lance-t-elle, l’œil rieur. Avec le ridicule, on peut aller très loin et faire passer plein de messages. Les gens ne se méfient pas. » Seulement voilà, Cyril Mennegun, lui, a voulu montrer son autre visage. « Il m’a dit, j’adore quand tu pousses le bouchon. Mais là, je ne veux pas que tu fasses ta Masiero. »
Jacques Audiard le lui a demandé aussi lorsqu’il l’a fait tourner dans De rouille et d’os, où elle joue la sœur de Matthias Schoenaerts, une ouvrière qui rame un peu pour joindre les deux bouts. Dans Ombline, au contraire, elle a pu se lâcher dans son rôle de taularde droguée et agressive, drôle et dérangeante. Depuis quelques temps cependant, on lui propose des rôles de médecin, d’avocat ou de juge. Tant mieux, car Corinne Masiero « adore aussi jouer les bourgeoises ». Quitte à devoir un peu plus se maquiller.
Anne-Laure Le Jan